J'aimerais rédiger une note, un compte-rendu sur la rencontre de Léry, qui s'est déroulée pendant les vacances de la Toussaint.
Je venais à la rencontre avec plusieurs sujets, à commencer par ma classe : son aménagement, le rangement qui n'était pas encore effectué à l'époque, la mise en place des ateliers permanents et des ateliers non permanents, surtout en mathématiques, l'utilisation des fichiers, des outils d'autonomie — donc de tous ces précédents et d'autres. Comment les utiliser ? J'ai toujours l'idée de faire des cartes.
J'arrivais également avec cette idée d'expliquer nos classes à nos collègues, aux parents, à notre hiérarchie. Car je trouve que c'est dans la mise au point d'outils de lecture et de compréhension de nos classes que les partenaires percevront comment notre activité s'inscrit dans les programmes ou le socle commun. Il va falloir, d'une manière ou d'une autre, trouver un moyen de justifier nos pratiques par rapport à des socles institutionnels, que l'on ne pourra malheureusement pas remettre en question malgré leur stupidité et leur caractère arbitraire.
Je venais aussi pour parler d'écriture et de lecture, ou d'écrilecture, de la méthode naturelle, de la manière d'amener un sujet en classe et de le développer, de l'utilisation d'Arbuste. Je voulais également aborder le contenu de ce que nous faisons en classe : les programmes d’EPS, le langage, les mathématiques, les arts plastiques et le domaine "Découvrir le monde".
De nombreuses discussions ont vu le jour à Léré. Elles m'ont éclairé, m'ont fait avancer, grandir, réfléchir, m’ont stimulé ; elles m'ont proposé des visions, des catégories, des domaines auxquels j'allais pouvoir penser, ainsi que des questions pratiques à explorer et analyser.
Les premières discussions se sont orientées autour du système (l’EN), d'où la citation de Philippe : « En sortant d'un système, on en voit les limites », en lien avec sa position hors de l'Éducation nationale. Quelles sont les limites de notre système ? L'idée est de ne pas contrôler les enfants, de les laisser vivre leur vie, mais cela est malheureusement perçu, aux yeux des non-avertis, comme une caricature : « Les enfants font ce qu'ils veulent. »
Je découvre ici la distinction entre le paternalisme et le rôle de "nourricier". Le paternalisme, c'est être l'autorité, le chef de famille qui décide pour tous ; être nourricier, c'est "faire à la place de", dans l'objectif d'aider. Apparemment, le mouvement du 3e type se veut non-paternaliste et non nourricier dans la posture de l'adulte.
Il n’y a pas de principe figé puisque que le 3ème type c’est de n’avoir aucun principe, mais cela doit être agréable pour nous. Si nous nous ennuyons, les enfants s'ennuieront aussi. Et ça, je l'ai senti aujourd'hui, mardi 5 novembre : je me suis bien senti, je me suis vraiment fait plaisir avec les enfants, j'ai joué avec eux, on a partagé des moments. Cela m'a rappelé la sensation que j’avais quand je naviguais avec mes stagiaires quand je faisais mes saisons de moniteur de voile. Depuis ma planche à voile, je prenais conscience du contexte et je me rendais compte que j'étais payé à faire de la planche à voile. En fait j'étais payé à faire bien plus que la planche à voile, je constituais à la fois un modèle et une source de conseils pour les faire progresser. Cependant, la sensation que j’avais, c'était que je ne travaillais pas puisque je faisais une activité qui m’était agréable.
Il n'y a pas de principe dans l'école du 3e type ; soit on incite par l'environnement, soit on incite par l'emploi du temps. Une fois que quelque chose est proposée, on se doit de respecter la structure qui en découle.
Je discute avec Philippe de la différence entre la langue et le langage, entre les langues et le langage. Le langage est un outil qui permet de former des représentations afin de les communiquer, et la communication est un élément central dans la construction du langage. C'est d'ailleurs l'un des éléments principaux du 3e type. D'ailleurs, dans ma classe, on ne se tait pas, on chuchote ; j'ai un sujet avec le bruit, mais je m'en accommode, car je veux du langage, et pour avoir du langage, il faut accepter un certain niveau de bruit.
Il est aussi important d'inviter les parents dans la classe et de leur permettre de formuler une critique. « Attention » me dit Philippe, « il faut entrebâiller la classe doucement au début», l’idée est de maîtriser cette communication pour ne pas être submergé. En outre, il organisait une réunion collective obligatoire par mois, au cours de laquelle il invitait les parents à amener des sujets pour en discuter ensemble. Ce n'est que rarement la pédagogie qui est la cause de l'animosité. Par exemple, les parents d'enfants en difficulté peuvent parfois penser que l'on n'aime pas leurs enfants ou que l'on n'en est pas capable.
Lors de l'une de mes réunions, un sujet est ressorti, et Philippe l'a immédiatement lié au discours des parents. Un enfant a dit si on copie, on ne peut pas apprendre, car on n'aura pas fait l'effort intellectuel nécessaire à la compréhension. Mais apprend-on en recopiant ? Est-ce qu'on n’apprend pas en recopiant ? On apprend à recopiant tout le temps dans la vie, c'est l’apprentissage par imprégnation. Le message à passer aux enfants est le suivant : vous avez le droit de vous recopier, tu vas apprendre en recopiant. Pour s’assurer de leur compréhension, il faut juste leur demander « est-ce que tu as compris ? ». Quand ils copient, qu'est-ce qu'ils cherchent, quel est l'intérêt de l'activité pour eux ? Ce qui nous amènera au questionnement : c'est quoi réussir ? C'est faire ou c'est comprendre ?
Quand Bernard est venu, j'ai appris son histoire, sa trajectoire, sa relation avec l’école et avec les parents. Il nous dit lui-même : « Je ne sais même pas si les parents ont eu l'impression qu'il n'y avait pas de devoirs ». En fait, c'est plus qu'une relation d'instituteur avec les autres, c'est une relation de séduction permanente, je pense, avec quiconque, parce que Bernard s’intéresse aux gens par nature. Pour discuter avec les gens qui sont dans l’opposition, il a une technique : il tire le fil jusqu'à trouver un point commun, puis il remonte le fil jusqu'au début. Il nous raconte une anecdote très marquante : un début de mois de novembre, il avait neigé abondamment dans la Vienne, au point qu'il n'avait pas pu se rendre à l'école en voiture et avait dû marcher les 15 km le séparant de l'école à pied. Le garde champêtre racontait à propos de ce jour-là qu'il avait vu « l'homme à la barbe dans la neige, tel un père Noël arrivé depuis la route sombre ». Ce jour-là, une fois arrivé à l'école, les enfants sont très vite arrivés, et les parents ont fait confiance à ce monsieur aux cheveux longs et à la barbe longue. Ce fut la seule école ouverte dans la Vienne ce jour-là. Je remarque que Bernard s'est inscrit dans la culture de sa commune, et c'est pour cela qu'il a été aussi bien accepté.
Le principe de Nicolas, dans son activité professionnelle, est de ne pas s'éparpiller, de faire peu et de bien faire. Ainsi il met en avant quelques activités phares dans sa classe, comme les recherches mathématiques ou l'écriture de textes. Dans la classe de Nicolas, les attentes sont explicites. Les enfants doivent, chaque jour, lire, écrire et mathématiser sous la forme d'un défi, d'une invention ou d'une recherche. Pour cela, il déploie différents outils, comme le cahier de recopie, le cahier d’écrit, et le cahier de poésie, dans lequel les enfants recopient des poèmes.
Ce sont ces mêmes activités (lecture, écriture, mathématiques) qui nous rassurent lorsque l'on voit les enfants les pratiquer. En effet, qu'est-ce qui nous rassure ? Voilà un sujet qui me préoccupe. Quand je vois les enfants jouer, faire des puzzles ou des constructions toute la journée, de temps en temps une pensée me ramène à l'institution, aux programmes, à la progression dans les Apprentissages et à la pression sociale : "Vont-ils progresser ? Vont-ils apprendre à écrire, bien écrire, à lire, et à bien compter ?"
« Il y a un truc qui me gêne » et quand il y a un truc qui nous gêne, nous, en tant qu'instituteur, et bien il faut creuser, analyser pour faire évoluer la situation. Si quelque chose nous met mal à l'aise, l'objectif n'est pas de juger, mais d'évaluer et de progresser. L'idée est de provoquer des changements pour réguler la vie du groupe. Donc penser à un outil pour revenir rapidement sur les points de la journée et pouvoir les analyser avant qu’on passe à autre chose. Parce que souvent je me rends compte que j’arrive à la fin d’une journée avec des constats, que je me perds dans d’autres activités plus urgentes, et que je n’agis pas sur ces constats qui restent sans réponse et sans évolution.