Abstract
Mon rapport au contrôle dans la classe a évolué de façon sinueuse cette année. J’ai commencé avec l’intuition juste : une posture de guide, sans imposer, laissant place à l’auto-organisation des enfants autour d’un contrat implicite — lire, écrire, mathématiser chaque jour. Mais ce contrat n’étant pas visible ni vérifiable, et mes outils étant inégaux (uniquement un support structuré en mathématiques), les langages les plus ouverts — écriture, lecture — ont rapidement été relégués. J’ai alors introduit un plan de travail, puis des temps collectifs par niveau. Cela m’a rassuré : j’avais un œil sur ce qui se faisait. Mais j’ai aussi basculé dans un mode d’intervention plus autoritaire, surtout avec ceux qui esquivent ou mentent, par peur qu’ils ne progressent pas, et que je sois jugé pour cela.
Je sens que ce contrôle est une tentative de pallier un écart : entre ma vision d’une école vivante, libre et engagée, et la réalité actuelle — peu de rituels solides, peu de différenciation dans les plans de travail, et une pression sociale accrue dès le CP. Je suis plus souple avec les GS, probablement parce que la maternelle n’est pas chargée du même poids d’attentes institutionnelles. Dès qu’on entre dans le cycle 2, les injonctions montent, les anxiétés des familles aussi, et moi, je perds de vue ma boussole.
Je crois aujourd’hui que le contrôle a été ma réponse au flou. Il m’a protégé… mais il bride aussi ma capacité à créer des environnements de confiance. J’avance. Depuis une visio marquante avec Philippe et Arnaud, j’ai entamé une mue. Moins d’ordre imposé, plus de dialogue. Moins de cris, plus de présence. Je teste. J’observe. Je commence à désapprendre mes réflexes, pour réinventer mes leviers.
Corps du texte
Au début de l'année, j'avais une posture de guide qui structure mais qui n'impose pas. Les enfants avaient un contrat implicite de lire, écrire et mathématiser tous les jours, pas matérialisé, que je ne vérifiais pas. Comme j'avais un outil seulement en maths (un fichier de travail), les activités d'écriture et de lecture étaient laissées libres. Petit à petit, en voyant qu'ils ne lisaient et n'écrivaient pas assez, j'ai introduit un plan de travail, j'ai commencé à vérifier les activités, j'ai diversifié les propositions d'activités pour pallier la faible quantité qu'ils faisaient dans chaque activité.
Alors que pendant un bon bout de l'année leur activité était libre et qu'ils géraient eux-mêmes leur temps, j'ai petit à petit inséré des temps collectifs par niveau, en premier en grammaire pour les CE1, puis des séances de lecture pour les CP, puis maintenant de temps en temps des séances collectives par niveau : écriture ou maths en GS, lecture en CP avec la méthode de lecture Fil et Lulu, grammaire en CE1, géométrie en CP ou CE1 (la numération se faisant complètement en autonomie). Ces séances s'inscrivent dans un emploi du temps, nouvellement instauré cette dernière période, qui contient les temps collectifs : quoi d'neuf (lundi et jeudi), récréation, réunion, présentations, rituel musique ; et les temps par niveau : mathématiques, lecture, écriture, plan de travail, anglais, arts plastiques.
Certains enfants avancent très bien dans ce fonctionnement en autonomie, c'est-à-dire qu'ils avancent dans les outils proposés : le cahier de maths, les ceintures de grammaire, ils écrivent ou recopient comme attendu. Et puis d'autres, je dirais la majorité, je me sens obligé d'aller vérifier par peur que, s'ils ne s'entraînent pas assez, eh bien ils ne progresseront pas, et qu'en plus j'aurai les parents sur le dos. Certaines rumeurs disent que, dans la classe, si on ne veut pas faire, eh bien on ne fait pas. Alors des fois, aux esquiveurs professionnels, j'impose. Sûrement que les activités que je propose ne sont pas adaptées. J'aime le cahier de maths ou les fichiers PEMF parce qu'on a un retour dessus, autant nous que l'enfant, et quand je vois qu'ils ont fait leur page de maths, ça me détend.
Pour la lecture, ils utilisent peu les cartes de lecture en autonomie (même principe que le fichier de lecture PEMF que je mettrai en marche à la rentrée) et c'est délicat de dire s'ils ont vraiment lu. À voir comme certains CE1 déchiffrent encore, ils ne lisent pas régulièrement, ou alors peu.
Pour l'écriture, tous peuvent faire des textes libres et ont des carnets de vocabulaire-orthographe où on écrit, à chacune de leurs productions, les mots nouveaux qu'ils ne savaient pas écrire ou des formes verbales qui seront utiles (par ex. "j'ai joué" toujours mieux que "jet joué"), mais les CP n'en font presque pas et les CE1 font une phrase. Un enfant m'a même fait la même phrase "demain j'ai match" pendant plusieurs jours d'affilée, plus ou moins bien écrite suivant les jours malgré une correction à chaque fois. Peut-être aurais-je dû lui dire que, s'il l'avait déjà écrite, il fallait maintenant utiliser son cahier de recopie. Les CP ont des cartes de dictée muette, et j'ai mis un contrat d'une par jour. Force est de constater que ce n'est pas le cas pour tous. En fait, j'ai différents outils, peu nombreux, et chaque enfant a le même plan de travail, et je sens passer plein d'activités à la trappe chaque jour sur lesquelles je n'ai pas jeté un coup d'œil.
Dans des moments de fatigue, quand ça fait plusieurs fois que je demande la même chose à un enfant qui me ment, je m'impatiente et je travaille en ce moment à entrer dans la discussion avec cet enfant plutôt que d'imposer à cet enfant de rester sur sa chaise jusqu'à ce qu'il ait fait ce que je lui ai demandé. J'arrive à faire confiance à certains enfants qui avancent plus vite que demandé et où il n'y a pas de pression. J'arrive à ne pas avoir du tout cette posture de contrôle avec mes grandes sections, que je laisse en totale liberté en dehors de leurs ateliers individuels et collectifs, probablement parce qu'il y a moins d'attentes de la part de la société (parents et institutions) pour la maternelle.
C'est fou comme on change de monde dès qu'on passe la porte du CP : tout le monde panique, rendez-vous médical obligatoire pour repérer les difficultés futures de l'enfant dans sa scolarité, attendus annuels de progression (donc inutilité de la notion de cycle 2), parents en alerte sur la lecture. Et moi, je n'arrive pas à faire tampon entre ce monde extérieur aux exigences que je trouve stupides et les enfants de ma classe.
Je m'inscris dans une école à trois classes, et ma collègue en CE2-CM est très ouverte concernant mes pratiques mais est très traditionnelle dans sa classe, parce que le collège... Je suis un peu bloqué dans cette posture de domination et d'autorité en travaillant avec elle, puisque nous avons quelques interventions communes quand il s'agit de problèmes collectifs (chasse d'eau pas tirée, jeux de cour pas rangés). Je suis pourtant d'accord avec le fond du message à chaque fois mais je sens que la forme me dessert. Je redoute, si elle a mes CE1 l'année prochaine, ce qu'elle va penser de mon approche si les enfants n'ont pas formalisé leur langue comme elle s'y attend. Je n'ai aucun repère de progression de ce que doivent faire les enfants à différents niveaux.
Cette posture de contrôle, d'imposition et de domination était la plus prégnante au moment où j'ai changé d'orientation suite aux inquiétudes des parents et à la première visite de la conseillère pédagogique. Depuis une fameuse visio où Philippe et Arnaud ont usé de clairvoyance pour définir le 3ᵉ type, je repars dans une toute autre direction : de discussion, de négociation, et je pense de psychologie. Moins de cris, plus de calme.
En parlant de cris, le sujet sur lequel j'exerce le plus une posture de contrôle est le contrôle du niveau sonore dans la classe. Nous avons une classe relativement grande, nous sommes relativement chanceux, mais le bruit se répand rapidement et les journées bruyantes sont les moins agréables pour tout le monde. Alors j'impose de chuchoter à tout moment. Nous avons un feu de signalisation :
J'ai encore beaucoup de mal à ne pas être affecté par les enfants qui dérangent le calme de la classe. Je pense que le volume sonore moyen a baissé tout au long de l'année, mais c'est vraiment fluctuant d'une journée à l'autre. Et communiquer une information nouvelle et excitante à un copain ou une copine de la classe, chuchoter est très difficile, et je les comprends, quelle idée de devoir chuchoter. Je ne suis pas le seul à être affecté par le bruit puisque les enfants aussi ont eu des périodes où plusieurs d'entre eux venaient se plaindre de mal aux oreilles ou de maux de tête. Par contre, leur expliquer qu'ils étaient en train de parler super fort dans la classe il y a 5 minutes, ça ne change rien